Les eaux souterraines sont notre ressource en eau douce la plus importante. Mais l’absence d’analyse systématique de son importance économique a échappé à l’attention des décideurs politiques et du grand public, menaçant ainsi la ressource. Les eaux souterraines fournissent 49 % de l’eau prélevée pour l’usage domestique par la population mondiale et environ 43 % de toute l’eau prélevée pour l’irrigation. Ce rapport offre de nouvelles preuves qui font progresser la compréhension de la valeur des eaux souterraines, montrant comment les eaux souterraines sont un atout majeur dans le portefeuille de ressources d’un pays, mais aussi les coûts de sa mauvaise gestion et les possibilités d’exploiter son potentiel. Dans une nouvelle contribution de cette recherche, une typologie globale de l’aquifère a été développée et validée. Il examine les principales caractéristiques de l’aquifère qui comptent pour un développement résilient et la réduction de la pauvreté, c’est-à-dire la détermination de l’accessibilité économique de la ressource en eau souterraine pour les agriculteurs individuels, sa durabilité et sa capacité tampon face aux variations saisonnières et aux chocs climatiques. Avec d’autres sources de données, il permet une nouvelle analyse de l’économie mondiale.
Une nouvelle analyse montre que ce qui manque de visibilité aux eaux souterraines, elle le compense en valeur. Au niveau mondial, les eaux souterraines peuvent amortir un tiers des pertes de croissance économique causées par les sécheresses. C’est particulièrement important pour l’agriculture, où les eaux souterraines peuvent réduire jusqu’à la moitié des pertes de productivité agricole causées par la variabilité des précipitations. En isolant les exploitations agricoles et les revenus des chocs climatiques, l’assurance des eaux souterraines se traduit par une protection contre la malnutrition : le manque d’accès aux eaux souterraines peu profondes augmente jusqu’à 20 % les risques de retard de croissance chez les enfants de moins de cinq ans. En Afrique subsaharienne, le potentiel inexploité d’irrigation des eaux souterraines pourrait être essentiel pour améliorer la sécurité alimentaire et réduire la pauvreté. Peu de terres y sont irriguées, mais les aquifères locaux peu profonds représentent plus de 60 % des ressources en eau souterraine, et 255 millions de personnes pauvres vivent au-dessus d’eux.
Mais la surexploitation des eaux souterraines expose les économies à des risques exponentiels, notamment une inadaptation. À l’échelle mondiale, les principaux aquifères alluviaux sont responsables de plus de 60 % de l’épuisement des eaux souterraines dans le commerce international, y compris dans les régions où les aquifères transfrontières, ce qui ajoute encore plus de complexité et d’urgence à leur gestion. Au Moyen-Orient et en Asie du Sud, jusqu’à 92 % des aquifères transfrontaliers montrent des signes d’épuisement des eaux souterraines. Les effets de cet épuisement se font déjà douloureusement sentir en Asie du Sud, où les eaux souterraines offraient autrefois un avantage de 10 à 20 % en termes de revenus agricoles, un avantage qui disparaît maintenant dans les zones touchées par l’épuisement. En Afrique subsaharienne, où les eaux souterraines ont été sous-utilisées compte tenu de leur potentiel, l’expansion du pompage solaire sans garanties adéquates pourrait menacer les moyens de subsistance ruraux qui dépendent des écosystèmes dépendants des eaux souterraines. Un risque caché de plus en plus visible provient de la détérioration de la qualité des eaux souterraines en raison de l’expansion rapide des zones urbaines, des sites industriels non réglementés et des pratiques agricoles inadéquates. Plus difficile à mesurer, ce risque de qualité représente une menace croissante pour la durabilité des eaux souterraines et les avantages qu’elles procurent.
Face à une demande croissante, les spécificités des eaux souterraines les exposent à la surexploitation dans une tragédie classique des biens communs, avec des impacts exponentiels touchant de manière disproportionnée les plus vulnérables. Il n’est pas nécessaire qu’il en soit ainsi. Les recommandations s’appuient sur une meilleure compréhension des avantages et des coûts des eaux souterraines, articulée autour d’un cadre d’information, d’incitatifs et d’investissements et de leurs leviers politiques correspondants. Deux dimensions clés sont importantes. Tout d’abord, il y a la façon dont le type d’aquifère façonne les utilisations potentielles. Et deuxièmement, il y a le niveau national et régional de prélèvement d’eaux souterraines, de ceux qui ont sous-utilisé la ressource et n’ont pas encore exploité son potentiel à ceux qui l’ont surexploitée et en subissent les conséquences néfastes. Les résultats éclairent également les problèmes auxquels les décideurs politiques sont confrontés lorsqu’ils tentent d’aligner les coûts d’opportunité privés et sociaux de l’utilisation des eaux souterraines. Une action intersectorielle urgente et une mobilisation politique de haut niveau sont nécessaires.